Un accord historique est signé à la COP21, mais…
dimanche 13 décembre 2015
par jacques-emile

Les 195 États réunis au Bourget pour la COP21 adoptent un accord historique pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Mais son manque d’ambition en affaiblit la portée et ne permet pas d’empêcher le réchauffement de la planète.

En 1992, pour lutter contre le problème naissant du changement du climat, le monde s’est doté d’un texte idéaliste célébrant les valeurs d’équité, de solidarité intergénérationnelle et d’entraide entre riches et pauvres : la convention des Nations unies qui fonde les négociations sur le réchauffement de la planète.

En 2015, pour réagir face à un système climatique en plein dérèglement, les États adoptent un accord technique, de faible ambition, peu contraignant et insuffisant pour que s’effondrent les gaz à effet de serre en temps voulu pour endiguer la hausse dangereuse des températures.

L’accord de Paris, signé par 195 nations, samedi 12 décembre au Bourget, est historique : pour la première fois, tous les États s’engagent à diminuer leurs émissions de CO2, et plus seulement les pays développés. C’est, en ce sens, le premier accord universel pour le climat. Un nouveau régime juridique se met en place : à partir de 2020, les pays devront se réunir tous les cinq ans pour faire le bilan de la baisse de leurs gaz à effet de serre et se fixer de nouveaux objectifs, de plus en plus ambitieux au fil du temps.

Ce bilan est obligatoire, fondé sur la science et soumis à des critères de transparence et de vérification. Les engagements de baisse de CO2 devront se traduire dans les politiques nationales. Les économies développées s’engagent aussi à aider financièrement les pays pauvres, en grande partie par des subsides publics, et à augmenter ces flux au fil des ans.

Autre symbole marquant : le monde se fixe pour horizon de contenir le réchauffement de la température moyenne« bien en dessous de 2 ° » par rapport à son niveau pré-industriel, et accepte de « poursuivre ses efforts » pour la limiter à 1,5 °C. Cet engagement est purement théorique : compte tenu de tous les gaz à effet de serre émis depuis la révolution industrielle et de tous ceux que les États ont prévu de rejeter d’ici 2020 et 2030, la température pourrait se réchauffer de près de 3 °C.

Mais il reconnaît un impératif moral : celui de se soucier du sort des îles et des plus vulnérables au changement climatique, menacés de disparition par la montée des eaux ou la désertification. Les États insulaires (îles Marshall, Barbades…), les Philippines et le groupe Afrique se sont beaucoup battus pour que ce chiffre symbolique figure dans l’accord, et gagner ainsi l’attention, ne serait-ce que furtive et formelle, des autres humains. « Dans ce texte, beaucoup de choses ont été diluées et polluées par ceux qui détruisent notre planète, mais il contient un nouvel impératif : limiter la hausse de la température à 1,5 degré, a déclaré Kumi Naidoo, directeur exécutif de Greenpeace international. Ce simple chiffre, avec le nouvel objectif de zéro émission nette d’ici la deuxième moitié du siècle, va causer la consternation dans les conseils d’administration des entreprises de charbon et dans les palais des États pétroliers. » Pour Giza Gaspar Martins, président du groupe des pays les moins avancés (PMA) : « Le problème n’est pas ce que nous pouvons faire, mais ce qu’il faut faire. Même à +1,5 degré, le consensus scientifique nous dit que beaucoup d’entre nous ne seront pas saufs. »

Tout le drame de l’accord de Paris s’exprime dans ce paradoxe : on sait qu’il faut agir, la vie et les conditions d’existence de centaines de millions de personnes sont en jeu, et, pourtant, le texte endossé à Paris, à lui seul, n’y changera pas grand chose. À force de concessions aux intérêts privés, à cause de la concurrence économique entre les États, des inégalités de richesses entre Nord et Sud, et du discrédit de la régulation dans bien des pays, la COP21 a débouché sur un texte insuffisant. Il défend de grands principes mais ne se dote pas d’outils opérationnels, reconnaît des obligations formelles mais sans grand contenu.

Concrètement, l’accord s’accompagne d’une « décision » qui en détaille de nombreux points de mise en œuvre, mais sans force juridique. Il s’organise en 29 articles, isolant les principaux points de la négociation climatique de ces dernières années : l’atténuation (la baisse des gaz à effets de serre), l’adaptation, les finances, les transferts de technologies… Il reconnaît l’importance des pertes et dommages, c’est-à-dire les impacts irréversibles de la crise climatique sur les pays les plus vulnérables. Mais sans leur offrir de droits aux compensations financières ni de protection juridique particulière, refusées par les Etats-Unis notamment.

« L’uberisation de l’ONU »

Le mi nistre d e s affaires étrangères Laurent Fabius, président de la COP21, a beau parler d’un accord « ambitieux et équilibré » et François Hollande proclamer qu’« il est rare d’avoir dans une vie l’occasion de changer le monde », l’accord de Paris ne crée pas d’outils concrets de baisse des gaz à effet de serre. Ses signataires s’engagent à plafonner leurs émissions « dès que possible », sans date butoir, et sans objectifs quantitatifs. C’est pourtant loin d’être un détail : pour contenir le réchauffement à +1,5 °C, il faudrait baisser les gaz à effet de serre de 70 à 95 % d’ici 2050. Cela nécessiterait un changement radical dans nos transports, nos logements, notre commerce. Autant de perspectives inenvisageables pour la plupar t des go u vernements signataires. Par ailleurs, le cycle de révision des émissions polluantes commence trop tard : le premier bilan doit être réalisé en 2023. Le renforcement des objectifs et leur application n’interviendraient que plusieurs années plus tard. Or, selon les chercheurs du GIEC, les dix – et même les cinq – prochaines années sont cruciales pour limiter le dérèglement du climat. Beaucoup de scientifiques considèrent que la course contre la montre d es 2° est perdue d’avance. La décision de la COP qui accompagne l’accord fixe un premier rendez-vous d’évaluation en 2018, mais sans force de contrainte. Quelques minutes après l’accord, François Hollande s’est engagé au nom de la France à réviser au plus tard en 2020 ses émissions, ses contributions financières pour les pays les plus vulnérables et à inviter d’autres Etats à s’allier à Paris pour créer un prix du carbone.

Lidy Nacpil, coordinatrice du Mouvement des peuples asiatiques sur la dette et le déve l oppement, dénonce un autre travers : la possibilité pour les États riches de réduire leurs émissions en dehors de leur territoire national, notamment dans les pays en développement. « Ils doivent réduire leurs propres émissions. Et ce doit être une obligation ! » proteste-t-elle. Autre exemple, l’article sur les émissions nettes à atteindre d’ici la deuxième moitié du siècle permet la captation et le stockage du CO2, une technologie qui risque de retarder le pic à la baisse des émissions.

L’évolution du projet d’accord pendant la COP porte la marque du lobbying intense qui s’est déployé. Dans sa première version, un article voulait interdire que les droits de la propriété intellectuelle n’empêchent le partage de technologies favorables au climat dans les pays du Sud. Il a ensuite disparu.

Autre exemple, les émissions des transports maritimes et aériens devaient être incluses dans les objec tifs de r éduction de l’accord – alors qu’elles représentent près de 10 % des émissions mondiales. Ce passage a été effacé dans les versions ultérieures. À l’inverse, la« promotion de la croissance économique » est apparue dans le texte en cours de négociation, et y figure toujours. L’accord de Paris entérine une rupture sans doute irréversible avec le protocole de Kyoto : il n’est pas juridiquement contraignant dans sa globalité et se met en œuvre par des objectifs de réduction d’émissions que chaque pays fixe librement. Cette absence de contrainte affaiblit le cadre régilateur qu’il crée.

Pour l’économiste Nicholas Stern, auteur du rapport qui fut en 2006 le premier à chiffrer les coûts faramineux de l’inaction pour le climat, « l’obligation est toujours là, mais elle f onctionn e d’une autre manière. Regardez ce qui s’est passé depuis un an : plus de 180 pays ont déposé des objectifs de baisse d’émissions alors que rien ne les y obligeait juridiquement ». « Il faut trouver un système d’obligation un peu différencié, avec le même niveau d’exigence pour les passages en revue des objectifs de gaz à effet de serre », analyse un négociateur. Plutôt que des contraintes juridiques jamais appliquées sous le protocole de Kyoto, les sanctions pourraient être « réputationnelles », à l’exemple de la liste noire des paradis fiscaux dressée par l’OCDE, ou encore des enquêtes de la Cour des Comptes sur les dérives budgétaires des collectivités locales.

Mais pour l’économiste Maxime Combes, de l’organisation Attac : « Les accords réellement contraignants sont ceux sur le commerce et les investissements. Il y a une dichotomie entre les contraintes juridiques dans les accords commerciaux et l’absence de contrainte sur le climat. » Pour le député européen Yannick Jadot (EELV), « c’est une vision très libérale de la collaboration entre gouvernements et acteurs non gouvernementaux, très souple, très horizontale. C’est un peu “l’uberisation” de l’ONU ». Jusqu’au bout, la présidence française de la COP21 a œuvré pour obtenir un accord à temps. Les dernières heures du sommet en offrent la démonstration. Alors que Laurent Fabius et son équipe prennent place à la tribune de la plénière finale pour adopter l’accord, l’information commence à se répandre que les États-Unis s’opposent à un mot du document : « shall », le verbe de l’obligation, dans une phrase sur la diminution des émissions de CO2. Les minutes, les dizaines de minutes, une heure passe. L’Union européenne s’inquiète. Moment de flottement au Bourget. Et puis, la présidence reprend sa place en tribune. Laurent Fabius annonce une série de corrections de nature strictement matérielles : une répétition doit disparaître, un adverbe est corrigé, une phrase réordonnée. Et u n « shall » doit devenir un « should », moins impératif. Personne ne réagit dans la salle.

Le ministre des affaires étrangères frappe le marteau. L’accord est adopté. Les délégués internationaux applaudissent. L’air de rien, les États-Unis ont obtenu une ultime satisfaction.

Médiapart - 12 DÉCEMBRE 2015 PAR JADE LINDGAARD